![]() Le Grand Rex
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Au début des années trente, alors que le monde est englué dans une terrible récession, le cinéma, qui parle depuis peu, fait rêver les foules. En 1930, Jacques Haïk, un visionnaire un peu fou, mais génial, acquiert le terrain situé au 1 du boulevard Poissonnière. Il a déjà imaginé le cinéma de ses rêves, les dimensions, l'aspect... Il acceptera seulement de réduire le nombre de places, prévu initialement à 5000, et réduit à 3200. Le cinéma sera inauguré le 8 décembre 1932, cinq ans après son prestigieux voisin et concurrent, le Paramount.
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Chaque fin d'année depuis des décennies, le dessin animé de Disney de Noël est projeté au Grand Rex, et reste dans la grande salle pour une durée de six semaines environ (soit de fin novembre à la rentrée de janvier). En première partie, le public peut assister à la fameuse "Féerie Des Eaux", un spectacle où des jets d'eau dansent sur scène en musique. A cette occasion, un immense bassin est installé sur la scène. Lors de ces projections, le Grand Rex réalise des scores d'entrée délirants (plusieurs dizaines de milliers de spectateurs par semaine). Depuis plusieurs années, le Disney de Noël sort avec deux semaines d'avance en exclusivité au Grand Rex; en avant-programme, les spectateurs peuvent assister à un spectacle musical sur scène sur le thème du film projeté; le prix des places est majoré, et il est prudent de réserver.
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L'écran mesure 16m90 de base; toute la largeur est utilisée pour la projection, seule varie la hauteur, 8m45 pour un film en 1.85, et 7m45 pour un film en scope (on ne projette plus de films dans les autres formats, même si tous sont disponibles, du 1.33 au 1.66). Comme au Normandie pendant un temps, il est dommage que l'image proposée par une telle salle soit plus grande en 1.85 qu'en scope, mais il faut reconnaître que cet écran est de belle taille; c'est même probablement le plus grand écran plat de Paris.
En 1988, alors que la concurrence de nouveaux cinémas tels que le Forum Horizon et le Max Linder, qui offrent des rapports écran-salle fort sympathiques, fait rage, et tandis que UGC et Gaumont créent respectivement les UGC Prestige et les GaumontRama, le Grand Rex se dote d'une nouvelle arme: l'écran Grand Large, inauguré pour la projection du film "Le Grand Bleu". Cet écran, discrètement enroulé près du plafond, descend doucement dans l'obscurité, accompagné par le thème de "The Abyss". L'écran Grand Large est réellement géant, puisqu'il fait 24m90 de base et 11m35 de haut, il est donc légèrement plus grand que celui du Gaumont Italie. Lors des projections Grand Large, l'orchestre et la mezzanine sont fermés, seule le balcon est accessible au public (le Rex demeurant alors avec 1300 fauteuils la plus grande salle de cinéma de France); ce système est par contre inutilisable quand le film est susceptible de remplir la salle (Disney de Noël). L'image est alors réellement immense, surtout pour le premier rang, dont la vision est toutefois gêné par les rampes de protection, et la taille de l'écran est accentuée par le fait qu'il se trouve plus près du public que l'écran normal.
![]() Très inhabituelle, la vue de l'écran Grand Large depuis l'orchestre
Jusqu'à la fin des années soixante-dix, le Grand Rex fut, avec la salle unique de la Rotonde, le dernier cinéma où il était permis de fumer. Avec le système de ventilation, la fumée retournait vers le sol, au lieu de s'élever et de gêner le public. Il s'agit là de théorie: j'ai toujours vu les volutes de fumée s'élever comme partout ailleurs. En 1981, le Rex reçoit prématurément un cadeau pour ses cinquante ans: il est classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, au même titre que la Cigale, l'Eldorado, et le Luxor. Espérons que cela lui apportera plus de chance qu'à ses malheureux concurrents (notamment le Luxor, laissé à l'abandon depuis des années). Il faut avoir vu un film dans la salle comble pour retrouver une idée du spectacle que les salles d'aujourd'hui de cinq cents places, même les meilleures, nous ont fait perdre. Après une longue attente dans le froid, l'installation dans un fauteuil confortable, au coeur de ce décor délirant, est une belle récompense. Et je n'oublierai jamais mon émerveillement lorsque je suis rentré pour la première fois dans cette salle, presque bondée, pour découvrir l'Empire Contre-Attaque, en 70mm bien sûr! La salle hébergea le fameux "Festival du Film Fantastique", ou plus simplement "Festival du Rex", organisé par l'Ecran Fantastique. Tous les soirs pendant huit jours, la salle était remplie, ou presque, d'un public avide de films d'horreur, de séries Z, ou de nanars de toutes sortes. Pendant ce festival, le spectacle était dans la salle. L'ambiance était telle qu'il était impossible de comprendre les dialogues des films si ceux-ci n'étaient pas sous-titrés. Un vacarme régnait pendant le film, tandis qu'un concours permanent de lancer d'avions en papier avait lieu (les rares fois où un avion atteignait l'écran pendant le film, et un public de connaisseurs saluait bruyament le responsable). Je garde également le souvenir ému de mémorables séances de lecture collective de sous-titres. A la fin du festival, une armée de spectateurs enroués se retrouvaient à la sortie. Finalement, le festival fut arrêté, semble-t-il en raison de l'immense bordel qu'il provoquait, mais je n'ai pourtant assisté à aucun débordement. Plus calmement, la cérémonie des Césars eut lieu une fois dans ce lieu mythique. Aujourd'hui, ce sont des soirées telles que la Nuit des Publivores ou plus récemment la nuit Gloubi-Boulga, qui ont repris le flambeau, même si l'événement ne se rapporte plus au cinéma.
Les autres salles
La salle 3 proposait une centaine de fauteuils et un petit écran de quatre mètres environ. Cette salle a disparu pour faire place aux "Etoiles du Rex". De l'autre côté du cinéma, alors que le petit monde de l'exploitation cinématographique était en pleine euphorie, on créa en 1986 quatre salles supplémentaires dans un volume attenant. Les salles sont de capacité moyenne.
La programmation est ancrée autour du cinéma populaire, principalement américain, mais aussi français. Les dessins animés de Disney et les grosses machines américaines y rencontrent le succès. Quelques tentatives de version originale furent effectuées ces dernières années, mais sans grande réussite, et en ce moment, tous les films sont présentés en version française.
Le Rex a obtenu les autorisations nécessaires, même si celles-ci ont souvent fait l'objet de recours de la part des politiciens locaux. Or, le cinéma veut également créer un parking, auquel s'oppose la mairie, qui prétexte qu'un parking supplémentaire engorgerait un peu plus la circulation dans le quartier (car il est bien connu que ce sont les cinémas qui gênent la circulation dans le Sentier...) La direction du Rex, qui estime ce parking indispensable à la viabilité du projet, annonça en retour que la transformation du cinéma n'auraient pas lieu sans le parking, et que le Rex pourrait tout simplement fermer dans les années à venir. Si cet avertissement est très inquiétant dans le contexte actuel de menaces continuelles de fermeture de nos plus beaux cinémas, on peut sans trop s'avancer penser qu'un compromis sera trouvé prochainement... Il est difficile de comprendre par quel miracle la grande salle du Rex résista à la mode des complexes, alors que ses principaux voisins devaient être divisés (Paramount, Français), démolis (ABC), voire divisés avant d'être démolis (Marivaux) Cette salle permet aux cinéphiles d'aujourd'hui de savoir à quoi ressemblait un palace à salle unique... même si ça ne consolera pas ceux d'entre nous qui n'ont jamais eu la chance de voir le Gaumont Palace.
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