"Guerre et Paix (Début)"
La première partie de ce document sera consacrée au film lui-même, la seconde parlera de son exploitation au Kinopanorama de Paris.
Les Studios Mosfilm de Moscou
1 - Le Film.
C'est un ambitieux projet voulu par le pouvoir politique de l'URSS pour célébrer les 40 ans de la révolution de 1917. L’œuvre de Tolstoï est probablement une des pièces les plus importantes de la littérature russe. Il s'agit ni plus ni moins que de mettre sur film un ouvrage de près de 2000 pages, des histoires d’amour, une saga des guerres napoléoniennes et des pensées philosophiques de l'auteur (qui était un pacifiste). On choisit un grand réalisateur soviétique, connu pour savoir gérer les plateaux complexes, avec beaucoup de personnages : Sergueï M. Bondartchouck. L'avant projet commence en 1961 par l'écriture très méthodique d'un scénario (S. Bondartchouk (SB) et Vasili Soloviov), des décors (SB était un très bon dessinateur), du découpage et des moyens techniques. Je ne vais pas détailler la partie purement rédactionnelle du film largement décrite dans le web ou dans des ouvrages, mais m'arrêter sur les points techniques qui ne sont que rarement décrits. Très vite, il apparaît que SB s'oriente vers une réalisation dynamique, mobile et le format large 70mm sphérique avec un son stéréophonique très pointu. Pour ce dernier point, les Russes savent le faire et bien le faire; ils ont l'expérience du Sovscope 35mm, du Kinopanorama et du 70mm. Le matériel est bien au point, la NIKFI ou les studios ont le savoir-faire. Maintenant, il veut une réalisation dynamique et mobile, ce qui impose d'avoir des caméras très légères dans un format large. Les américains ont bien un appareil d'un trentaine de Kg qui a servi pour des scènes de « West Side Story ». C'est beaucoup trop lourd ! Bondartchouk veut un appareil simple, équipé d'un stabilisateur de prise de vue (au bouger), de moins de 10 Kg avec son film. Elle doit se porter à l'épaule comme une Ariflex 35 mm ! Les ingénieurs de la NIKFI et de LOMO vont se creuser les méninges un bon moment avant de mettre au point, avec beaucoup de défauts au départ, un appareil 70mm qui répond à ce cahier des charges.
Diverses vues de la caméra légère
Diverses images du 70mm et Kinopanorama soviétique, dont la table de mixage Lomo
Pour certaines scènes trop dangereuses, il est hors de question de placer un opérateur à la caméra. Une fois encore, les Russes inventent une caméra 70mm totalement télécommandée et contrôlée par moniteur vidéo (N&B)! Tous les studios de MosFilm sont mis à contribution pour créer le film, qui - pour les scènes d'intérieur - a quasi intégralement été tourné en studio, dans des immenses pavillons. Bondartchouk a des idées bien arrêtées sur la mise en scène et il faut inventer sans cesse les moyens techniques pour mettre en oeuvre le projet. Il reste le fameux travelling aérien du bal de Natacha, le boulet qui tuera André qui doit tourner sur lui-même (après les calculs d'instituts scientifiques), les plans du bal seront réalisés sur patins à roulettes. C'est aussi gérer un détachement de l'armée rouge pouvant aller jusqu'à 120 000 hommes, les chevaux qui vont avec, les corps de ballets pour les scènes de bal, trouver ou créer les accessoires, les costumes, les tableaux etc... C'est un film où rien ne fait "toc". Bref un travail de titan. Pour corser le tout, SB joue un des rôles principaux du film, celui de Pierre Besoukhov. Petite anecdote en passant, il n'y aura qu'un accident sur le tournage sérieux; un cheval se tuera en s'empalant sur une baïonnette perdue par un figurant. On peut comprendre que ce film ait eu un peu de retard... Autre originalité; la musique: elle fait parfois appel à de primaires synthétiseurs ! Le film se décompose en 4 parties, qui décrivent principalement le caractère de l’un des personnages centraux ou une scène importante. Je les cite avec le découpage soviétique.
Epoque N°1 - Austerlitz (André Bolkinsky)
Cette époque fixe un peu le caractère de l’ensemble des personnages, mais est principalement axée sur André Bolkinsky, soldat de l’Empereur Alexandre. Il filme surtout la bataille d’Austerlitz. Ce film est en réalité, tel que monté en URSS, en deux parties.
Réalisation d'effets pyrotechniques
Epoque N°2 - Natacha (Natacha Rostova)
Cette époque fixe surtout caractère la douce et tendre Natacha Rostov et ses premières histoires sentimentales avec André et un autre prétendant. Une scène de bal reste dans l’anthologie des prises de vues cinématographique.
Le grand bal de Natacha - Réalisation avec la caméra lourde de studio
Les gros plans de la scène du bal filmés sur patins à roulettes
Epoque N°3 - 1812 (1812: Dieu)
Cette époque évoque surtout le début de la bataille de Borodino, c’est probablement une des parties les plus grandioses. Tous les caractères commencent à s’imbriquer les uns dans les autres
Utilisation en studio de la caméra légère
Epoque N°4 - Pierre (Pierre Besoukhov)
Cette partie est axée sur la révélation et la transformation du personnage pataud, timide et penseur qu’est Pierre Besoukhov, joué par S. Bondartchouk. Une scène très spectaculaire est l’incendie de Moscou.
S. Bondartchouk en répétition
Les titres des époques sorties en France seront un peu différents, pour être plus commerciaux ! L’ensemble du film représente 403 minutes, soit 6H43. Selon les pays, des montages sont sortis plus courts. La
Fiche IMDB est ici ici dans sa version US (360 et 401 minutes). Il y aurait, selon Leonard Maltin, un Director’s cut à 507 minutes.
Si les Américains dans leur version n’avaient retenu que romance et batailles, S Bondartchouk a voulu livrer les pensées philosophiques de l’auteur, sur la vie, la mort, l’amour, la guerre. C’est une version beaucoup plus « intellectualisée » que celle issue des studios US. Je vais faire mienne la pensée de Karen Georgievich Shakhnazarov, réalisateur et Directeur actuel de MosFilm « Il est certain que par rapport à la richesse du roman, il y a des pertes et quelques ratés. Il n’en reste pas moins que par son ampleur et sa qualité de réalisation, ce film est unique et le restera. Il est fort probable que plus jamais un tel film ne sera réalisé, faute de moyens non pas techniques mais financiers »
Première "publique" du film au cinema "La Russie"
A bientôt pour expliquer son exploitation à Paris, la mort de JP Mauclaire et la fin du Kinopanorama axé sur les films soviétiques.
Crédits Photographiques: Association Triple Ecran, sauf indication contraire DR - Reproduction interdite
PS: certaines photos viennent des actualités soviétiques. Elle sont disponibles dans le bonus du [color=red]DVD Ruscico "Guerre et Paix".
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