L'arrivée du 70mm soviétique et "Les années de feu"
Prélude - Une anecdote en passant
Le Cinerama et le Kinopanorama sont concurents. Il est certain que la reconstruction de l'Empire en salle "SuperCinerama" entre novembre 1960 et février 1962 a favorisé l'essort de la salle de JP Mauclaire. Il semble, selon les lettres en ma possession, que du retard a eu lieu pendant cette reconstruction et que l'équipe de Cinerama France ne peut utiliser sa salle pour visionner le prochain programme "La grande Rencontre" (Windjammers), tourné en Cinemiracle. Il semble qu'un bon relationnel (Mauclaire était un spécialiste de la presse cinématographique) existait entre Mauclaire et le Directeur de Cinerama France; celui-ci demande s'il ne peut pas utiliser les installations du Kinopanorama, en matinées, pour faire deux essais du film. M. Mauclaire donne les conditions techniques (montage en 1200m à cause de cette cabine mal construite) et son accord. L'essai a lieu en décembre 1961. Une lettre postérieure, datant de mars 1962 et venant de M. Louchel (?) de l'Empire indique à M. Mauclaire qu'il ne retrouve pas la qualité technique de ce film à l'Empire par rapport aux projections d'essai faites au Kinopanorama. Ammusant, non ?
1 - Origine du 70mm soviétique
Le 70mm a réussi une percée en force aux Etats-Unis. Le TODD-A-O et les procédés qui dérivent mettent à mal le Cinerama, car bien plus simple à utiliser, à filmer et à exploiter. Les Russes vont s'y intéresser, obligatoirement. Il est rapporté que dans une période de dégel entre l'Est et l'Ouest, M. TODD et sa charmante compagne d'alors, E. Taylor, ont visité l'URSS. Dans ses bagages, la caméra de TODD-A-O Mitchell BFC. Il est inutile de rappeler que c'est une caméra 65 mm, dérivée de procédés des années 1930 et modernisée, et que le tirage se fait en 70mm pour y placer le pistage magnétique. Les ingénieurs de la NIKFI se passionnent pour l'objet, vont l'étudier et décider de la copier en faisant varier un point essentiel: ils choisissent d'utiliser directement un négatif 70mm, qui sera produit par les usines SVEMA pour l'URSS et par ORWO pour les bloc satellites. Cette caméra, construite par la NIKFI et MosKinap (département LOMO/KINAP de Moscou) servira conjointement avec les caméras légères jusqu'à "Guerre et Paix". Ils développent tout d'abord un système à optique sphériques, le SovScope 70 et un autre à optique anamorphique 1,25X environ, le Kinopanorama 70. Certains films tournés en 70mm anamorphiques auraient été traités par une séparation optique en trois bandes 35mm sur 6 perfos, avec pistes son sur film 35mm séparé (9 pistes), pour projeter ces films dans les salles Kinopanorama uniquement triple-écran. Je n'en ai pas la preuve et toutes mes recherches n'ont rien donné à ce sujet; JS Lasher, déjà évoqué, est plus affirmatif. On va regarder dans les copies de l'association, même s'il est vrai que j'ai un pavé de la "Loi de l'Antartique" projeté en triple-écran, pendant quelques semaines en mai 1963, au Kinopanorama parisien. Un système "Perspecta like" est employé parfois pour les ambiances pour répartir la voie d'effet unique sur les anciennes voies droite, gauche arrière et plafond; ce qui a fait dire que le Kinopanorama 70mm était un système 9 pistes; c'est un peu abusif ! LOMO/LenKinap lancent une série de projecteurs bi-format type KP 15 V, KP-30 V ou KPK-15, très voisins dans le design interne aux Philips DP-70. Un couple de ces appareils, dans une version plus moderne, tournera longtemps au Comos de Paris. Le système sonore, avec de modestes simplifications, devient KZVT-10 en utilisant globalement les mêmes composants principaux.
La caméra d'origine US Mitchell BFC utilisée en TODD-A-O - Crédit AWSM
Photo Jim Kroeper, Epic Proportions, Inc.
La "copie" soviétique utilisée dans quelques scènes de "Guerre et Paix"
La même, utilisée dans la réalisation franco-soviétique "La nuit des adieux" à LenFilm
Un premier film semble, sans certitude aucune, avoir été expérimenté en 1958; il s'agit du "Poème de la mer" (Poema o morye), inconnu en France. La première expérimentation prouvée du 70mm russe sera faite avec un court-métrage expérimental appelé "la Néva" tourné par LenFilm. Suivra un film d'une envergure beaucoup plus importante et ce sera "Les années de feu" (Povest plamennykh let), tourné entre 1960 et 1961; il recevra deux récompenses au Festival de Cannes 1961, ce dont nous reparlerons. Le système triple-écran semble, comme pour les américains, en fin de vie et le 70mm arrive pour prendre sa place.
2 - Adaptation au Kinopanorama
JP Mauclaire sent bien que le triple-écran vit ses dernières heures et sait que se prépare en URSS un très gros film sur une oeuvre de Léon Tolstoï: "Guerre et Paix" (Voyna i Mir). Il demande donc à Pierre Pinton de renouveler la concession de la salle jusqu'au 10 octobre 1968. Ce dernier accepte, mais a toujours trouvé les dépenses pour les premières de JP Mauclaire somptuaires... Mais ça marche et c'est le principal ! JP Mauclaire décide alors de jouer la carte du 70mm, toujours soviétique, sans écarter un possible retour du procédé triple. Pour équiper sa salle, il ne se tourne pas vers l'URSS, mais vers Cinélume, distributeur français des appareils Cinemeccanica. Il choisit une paire de chronos bi-format du type Victoria X (V 10), probablement d'occasion récente. Les projecteurs sont équipés d'une lanterne à arc de la même marque, type Super Zénith 450; c'est un bon couple qui retire partiellement la piètre qualité d'obturation du V 10, type boisseau. Cela donne une luminosité très correcte, même sur un tel écran. J'ignore si la préamplification magnétique est soviétique ou Cinemeccanica, elle sera italienne fin novembre 1970 avec des pré-amplis Cinemeccanicca (2P/65 gérant l'optique et le magnétique, 2 x POS/65 en optique et 7 x PMS/65 pour le magnétique , dans un coffret de commande SC/65). Le choix de Cinélume n'a rien de surprenant; ils avaient collaboré à l'installation technique de la salle en 1959, fourni le projecteur de prologue et le V-10 était une bonne machine. Le choix soviétique, avec Lenkinap/LOMO aurait été possible, mais je pense que le manque de distributeur français et donc la difficulté à obtenir les pièces d'entretien courantes n'a pas poussé M. Mauclaire vers eux. Le Cosmos, dans les années 80/90 connaîtra beaucoup de problèmes d'approvisionnement avec l'URSS pour son matériel. Pourtant celui-ci était de très bonne qualité, donnait une fixité d'image, en 35 et en 70mm, remarquable et était solide comme un tank. Des dérivés seront construits en Allemagne de l'Est sous le nom de Pyrcon UP 700. Voici donc le Kinopanorama de Paris équipé pour recevoir son premier film sur écran géant unique, en 70mm. Bien que tourné en 1961 et présenté à Cannes cette même année, le film de la réalisatrice Yuliya Solntseva ne sortira en Europe de l'Ouest qu'en 1962-63 pour d'obscures raisons (remontage probable).
3 - "Les années de feu"; le film et la critique
Autographe de l'acteur principal du film
Pavel Borisovich VINNIK
Ce film est tourné entre 1960 et 61 par la réalisatrice soviétique Yuliya Solntseva, d'après l’œuvre de son défunt époux Alexandre Dovejenko. Elle raconte l'histoire d'un courageux soldat ukrainien, avec de spectaculaires scènes de bataille. Le film sera présenté, en compétition à Cannes en 1961 et obtiendra la Mention spéciale de la Commission Supérieure Technique et le Prix de la mise en scène. Bloqué ensuite en URSS plus d'un an, il n'arrivera à Paris au Kinopanorama qu'en septembre 1962 et dans le reste de l'Europe courant 1963 ! Pour ne pas alourdir le texte, j'invite le lecteur à consulter
IMDB sachant que beaucoup d'erreurs sont présentes sur le plan technique (son mono par ex.). Le film est accompagné de deux CM: "
La Néva" déjà cité et "
Fantaisie d'Hiver". Ce dernier film est un mystère, mais son titre ressemble beaucoup au dernier film tourné en Kinopanorama triple "
Etudes d'hiver". Est-ce le même ?
Projet de publicité pour le Film. Notez le détail "Sur écran géant en Sovcolor 70mm"
Si un lecteur a le résultat final, je suis preneur !
Le film restera à l'affiche de septembre à fin décembre 1962, avec de belles entrées. Il alterne parfois avec un film en SovScope, "Le printemps des jeunes filles". Il faut noter qu'il sort également en banlieue et en province, ce qui retire obligatoirement quleques spectateurs. Mais le 70mm soviétique est un vrai succès et le film demanderait bien à être tiré sur DVD.
A bientôt pour la suite de l'histoire, l'ultime programme en triple écran « Volga Volga » et « Eudes d'hiver » et le festival qui a suivi pour terminer définitivement l'exploitation du procédé du "vrai" triple écran, sauf si l'on croit aux légendes internet ou cinéphiliques, ainsi qu'à des livres de spécialistes anglo-saxons où les corrections sont plus imortantes que le livre lui-même ! On parlera d'extraction en triple écran de Kinopanorama 70 mm et nous arriverons, après des films aux titres improbables, au lancement de "Guerre et Paix".
Quelques images, en 35mm/scope restaurées du film - Crédit MosFilm
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