LE TEXAS
Le Texas était un cinéma situé au haut de la rue de la Gaîté. C'était certainement le plus agité du quartier. A l'intérieur, sur les murs, de part et d'autre de l'écran, des tubes fluorescents verts dessinaient deux gigantesques cow-boys faisant tournoyer au-dessus de leur tête un lasso. Leur lumière n'aurait pu éclairer seule la salle tant les néons crépitaient et clignotaient. Les rideaux qui tentaient de masquer le vaste écran jaunâtre étaient aussi usés que les fauteuils, eux-mêmes aussi usés que les copies projetées. Les multiples rayures qui faisaient partie de tous les scénarios de tous les films, aboutissaient bien souvent à une cassure nette qui faisait naître une foule de huées et de sifflements, voire de hurlements rauques de voix cassées par l'alcool.
Quelquefois, les forces de police étaient appelées par le directeur de la salle qui ne pouvait faire revenir le calme. Les perturbateurs étaient embarqués en vociférant jusqu'au commissariat et la séance pouvait reprendre jusqu'à la prochaine rupture de pellicule.
Le spectacle était aussi au balcon où était réunie toute une foule hétéroclite de toutes les races et de toutes les bandes du quartier. Le simple spectateur venu là par hasard, faisait vite figure d'intrus. On se serait cru dans une foire aux canailles. Des gens s'insultaient, puis se tapaient dessus, en venaient parfois à sortir le couteau à cran d'arrêt. Ceux qui voulaient les séparer se faisaient rosser par ceux qui voulaient voir du sang. D'autres partaient précipitamment par peur ou pour ne pas se faire arrêter pour récidive.
Des filles, fausses ingénues aux cheveux crêpés, vêtements moulants criards, et maquillages dérivants, beuglaient parce qu'on les pelotait et qu'on voulait les violer. Bien entendu, elles n'étaient pas venues pour ça !
Les plus jeunes, des garçons de dix à quinze ans, s'amusaient à cracher sur les crânes des quidams assis à l'orchestre. C'était bien plus amusant que les habituels bâtons d'esquimaux ou les papiers de bonbons.
Enfin, quelques-uns uns, fumaient tranquillement leur cigarette, et dressaient ainsi un rideau de fumée, autre obstacle entre le film et moi.
Plus tard, le Texas fut détruit. A sa place fut construit le Translux-pullman-gaîté, une très belle réalisation, avec un écran géant, équipée pour projeter des films en 70 mm. Elle n'en projeta quasiment jamais, l'époque étant plutôt vouée aux complexes de micro-salles. Le Translux n'a jamais eu d'âme ni beaucoup d'âmes pour aller le visiter. Il fut réaménagé.
Il devint le Paramount-gaîté. Le Paramount-gaîté n'eut guère de succès, seul le nom du cinéma changeait. Les spectateurs le boudèrent. Il fut détruit.
Sur ses ruines encore fumantes, fut construit le Panrama d'un certain Philippe Jeaulmes. Et savez-vous ce qu'était le Panrama ? Tout bonnement l'ancêtre du système Omnimax d'aujourd'hui ! C'est à dire la prise de vue en fish-eye sur 360°, et la restitution de l'image sur une immense voûte, le son stéréo six pistes accompagnant le film. Des moyens métrages tournés quelquefois dans Paris et même dans le métro, furent projetés afin que les gens intéressés puissent éventuellement financer le développement de cette nouvelle technique alors révolutionnaire. Apparemment l'argent se fit aussi rare que les spectateurs : l'Imax allait naître peu de temps plus tard. Le Panrama fut fermé, puis détruit. Depuis, tout en haut de la rue de la Gaîté, il n'y a plus rien ou presque... des sex-shop...